TS4. Diversité

Diversité de la parcelle au paysage pour un agro-écosystème résilient ayant un impact limité

Corinne Robert, aidée de Colette Bertrand et Alexandra Jullien

Contexte

Dans le contexte des changements globaux et de la nécessité de réduire les intrants de synthèse agricoles (engrais, pesticides, etc.) et leur impact sur l'environnement, l'agroécologie est une opportunité émergente. Son objectif est de mobiliser les interactions entre les organismes des agro-écosystèmes et du paysage en augmentant l'hétérogénéité spatio-temporelle. Cela aidera à promouvoir les processus d'autorégulation et à réduire le besoin d'intrants synthétiques. Par exemple, il vise à améliorer la qualité des sols et à réduire ainsi les besoins en engrais, ou à réguler les ravageurs sans pesticides (ou peu) en mobilisant les régulations biologiques à l'échelle du champ et du paysage.

Notre objectif principal dans ce thème structurant est de comprendre quelle diversité (naturelle et cultivée) favorise les interactions positives pour l’agro-écosystème, quelles sont les interactions, les rétroactions et à quelles échelles spatiales et temporelles se produisent-elles ? Pour cela, nous allons développer une vision systémique et écologique de l'agroécosystème. Nous cherchons à déterminer quelle hétérogénéité (types, échelles…) devrait être promue dans les agro-écosystèmes afin de réduire considérablement la dépendance aux intrants agricoles, de limiter leurs effets sur l'environnement et d'accroître la durabilité et la résilience des systèmes agricoles.

Questions scientifiques et objectifs

Nous étudierons les liens entre biodiversité, hétérogénéité et fonctionnement des composants biotiques et abiotiques de l’agro-écosystème. Notre objectif est d’étudier le fonctionnement de l’agroécosystème «dans son ensemble», en prenant en compte les facteurs biotiques et abiotiques à différentes échelles d’espace et de temps. Nous considérons deux leviers pour optimiser les régulations naturelles et les fonctions écologiques de l’agro-écosystème : la diversité intra-champ (par exemple, biodiversité cultivée, multiculture) et l’hétérogénéité du paysage (par exemple, diversité des cultures et des éléments semi-naturels dans le paysage, structure du paysage…). Nous nous concentrerons à la fois sur la saison de croissance de l’agriculture car c’est une échelle essentielle pour la production annuelle et sur des échelles plus longues, qui sont essentielles pour l’établissement de régulations et l’évolution des organismes.

Le thème structurant est divisé en deux pistes d’exploration complémentaires :

1) Une étude analytique des processus et de leurs interactions dans des populations hétérogènes de cultures à des échelles relativement fines, allant de l'organe à la plante. Dans cette approche, nous cherchons à expliquer comment les interactions positives et négatives entre les pratiques agricoles, les espèces (ou variétés) cultivées et les autres composants biotiques déterminent les fonctions de production (acquisition et partage de ressources) et/ou les fonctions de défense contre les ravageurs. Une telle approche devrait permettre d’identifier les services associés à une diversité de cultures intra-champ permettant de réduire les intrants synthétiques tout en augmentant la résilience du système.

2) Une approche intégrative spatio-temporelle des interactions dans l'agro-écosystème, dans le but de comprendre si et comment la diversité et la structure spatio-temporelle du paysage peuvent être utilisées comme un levier pour limiter les intrants et leur impact sur l'agro-écosystème. Cela inclut les processus étudiés à l'échelle du champ (1), mais aussi les processus se déroulant à plus grande échelle (dispersion des organismes, volatilisation, variabilité génétique, diversité et structure des cultures…).

L’un des défis de ce thème structurant est de combiner ces deux approches, avec un va-et-vient entre des études d’acquisition de connaissances au niveau du terrain diversifié et des études explorant les possibilités de résilience à l’échelle du paysage structuré. Les concepts et approches utilisés comprennent l'écophysiologie des plantes, l'épidémiologie, la biophysique et la chimie de l'environnement, l'écotoxicologie, l'évolution, l'écologie évolutive et l'écologie du paysage.

Les principales questions auxquelles nous cherchons à répondre sont les suivantes :

  • Par quels mécanismes et dans quelle mesure la biodiversité cultivée intra-champ permet-elle de réduire les intrants ? La biodiversité cultivée aide-t-elle à limiter nos besoins en intrants ? Comment la biodiversité cultivée conditionne-t-elle l'accès aux ressources en eaux souterraines et aériennes (en fonction des types fonctionnels) ? Comment cette biodiversité impacte-t-elle les épidémies et leurs dégâts ? Quel est l’effet de cette biodiversité sur les phénomènes de compétition et de facilitation dans les champs et in fine sur leur résilience aux stress abiotiques (eau, azote) et biotiques (ravageurs) ?
  • Comment la diversité de l'agro-écosystème influence-t-elle les interactions entre ses composants biotiques et non biotiques et, par conséquent, comment affecte-t-elle les fonctionnalités associées ? Par exemple, comment une diversité de pratiques (par exemple, les pratiques de fertilisation) aura-t-elle un impact sur les épidémies et sur les émissions de GES dans l'agro-écosystème diversifié ? Quels sont les effets de la diversité non cultivée sur le fonctionnement de l'agroécosystème et inversement?
  • Comment les agents pathogènes et les plantes vont-ils évoluer (ou d'autres organismes) face à ces changements de diversité et comment vont-ils s'adapter au changement climatique? Ce sont des questions centrales pour évaluer la durabilité et la résilience des scénarios étudiés.
  • Pouvons-nous utiliser l'hétérogénéité spatio-temporelle du paysage comme un levier pour limiter les intrants et leur impact sur l'agro-écosystème? Cette question porte à la fois sur la biodiversité cultivée et naturelle et sur les effets de l'hétérogénéité du paysage sur les populations biotiques de l'agro-écosystème. Par exemple, notre objectif est de comprendre les déterminants de l’exposition des organismes vivants (par exemple les carabidés) aux pesticides, en tenant compte de leur devenir dans les caractéristiques du paysage et les préférences en matière d’habitat animal.
  • Comment développer une approche intégrée pour comprendre et modéliser le fonctionnement de l'agroécosystème à l'échelle du paysage "dans son ensemble", en tenant compte des facteurs biotiques et abiotiques dans une perspective de résilience croissante des agro-écosystèmes ? Cela entraînera probablement un besoin de simplification des différents sous-modules simulant les différents organismes et composants de l'agro-écosystème, en mettant l'accent sur la prise en compte de leurs interactions et rétroactions.

En ce qui concerne les aspects méthodologiques, ce thème structurant soulève des défis intéressants. Au niveau expérimental, cela soulève des questions relatives à la diversité à étudier : quelles variables caractériser ? Dans quels compartiments et à quelles échelles (par exemple, plante, champ, sol, paysage) ? Quels sont les outils disponibles ou à acquérir ? Y a-t-il des indicateurs agrégés à définir ? Une autre question clé expérimentale consiste à savoir comment organiser des expériences à long terme et à l'échelle du paysage. Nous essaierons de partager nos compétences et de les appliquer aux différents compartiments et composantes de l’agroécosystème, et de concevoir de nouvelles expériences sur des systèmes diversifiés à différentes échelles.

En ce qui concerne la modélisation, nous travaillons au développement de cadres de modélisation pour intégrer la diversité, ainsi que les caractéristiques biotiques et abiotiques associées, à différentes échelles spatiales. Nous pouvons déjà compter sur plusieurs modèles développés en laboratoire. Un défi pourrait être de permettre le dialogue entre les modèles sur le terrain et les modèles plus intégrateurs au niveau du paysage.

Insertion dans ECOSYS et collaborations

Dans la perspective d’une vision systémique de l’agro-écosystème, les différentes composantes (sol, plante, air, ravageurs, par exemple) sont étudiées ainsi que les interactions à l’échelle du champ et du paysage. Par conséquent, les trois équipes d’ECOSYS sont impliquées dans ce thème structurant et partagent les questions scientifiques. Chacune des équipes fournit des compétences et des méthodes spécifiques qui enrichiront le travail développé. La contribution des trois équipes repose sur la surveillance, l'expérimentation et la modélisation in situ. Les expériences actuelles sont menées à différentes échelles spatiales : depuis des dispositifs semi-contrôlés tels que les mésocosmes (analyse fine des processus et des interactions liées à la diversité), aux études de paysage (effet de la biodiversité sur les épidémies) en passant par les études de terrain (effet de la diversité des cultures sur les populations biotiques). En ce qui concerne la modélisation, les populations biotiques et leurs interactions avec les caractéristiques abiotiques sont modélisées de l'échelle de la canopée à l'échelle du paysage. Les différentes échelles temporelles considérées offrent l’opportunité de développer des approches d’optimisation multicritères en caractérisant simultanément un ensemble de fonctions de l’écosystème, et de tester différents scénarios de pratiques et d’hétérogénéité du paysage.

Les études réalisées peuvent être basées sur les modèles actuellement développés dans l'unité. Ceux-ci incluent des modèles simulant les interactions hôte-pathogène aux échelles du terrain et du paysage (Septo3D, Epi3D, NitroEpidemic), des modèles simulant le fonctionnement des plantes du CN et la plasticité de l'architecture (ADEL-blé, ARNICA, RGLD) et des modèles simulant des échanges d'énergie, composés contaminants (ozone, ammoniac, pesticides) ou non contaminants (eau, CO2) (Modde, SurfAtm, VoltAir). À l’échelle du terrain, les travaux de modélisation actuels reposent sur le Functional-Structural Plant Models - FSPM. L'un des objectifs est d'introduire dans ces modèles davantage de processus biologiques et écologiques afin de les rendre plus aptes à simuler le fonctionnement de peuplements hétérogènes. À l'échelle du paysage, nous nous appuyons sur des modèles tels que Nitroscape ou l'outil MIPP, qui simulent des flux abiotiques dans des paysages agricoles. Tous les modèles décrits ci-dessus, qui sont plutôt dédiés à un ou deux composants de l'agro-écosystème, peuvent alimenter des modèles plus intégrateurs comprenant des caractéristiques biotiques et abiotiques à différentes échelles spatio-temporelles.

Ce thème est lié à l’autre thème structurant. Les liens avec les thèmes «contaminants» et «climat» sont importants pour permettre une évaluation plus large des divers systèmes sur lesquels nous allons travailler. Les outils développés dans le thème «contaminants» pourraient permettre d'évaluer l'impact de la diversification des systèmes agricoles sur le devenir des polluants dans les différents compartiments de l'agro-écosystème. Les outils développés dans le thème «climat» permettront d’évaluer si la diversification des systèmes peut participer à l’atténuation des effets du changement climatique. Le thème «biomasses» peut être source de propositions concernant la diversité des pratiques et leur organisation paysagère spatiale que l’on peut envisager. Les outils développés dans les autres thèmes structurants nous permettront de tester les impacts de la diversification des cultures et de l'hétérogénéité spatiale à l'échelle du paysage. Cependant, la plupart des outils n'incluent pas la diversité intra-parcelle, ce qui constitue sans aucun doute une perspective intéressante de développement entre les différents thèmes structurants. Des expériences communes sur le terrain ou dans les paysages constitueront également un outil précieux pour renforcer les liens entre des thèmes structurants.

L'animation de ce thème structurant s'appuiera sur des projets scientifiques reliant les trois équipes disciplinaires d'ECOSYS. Les collaborations en cours autour de projets de recherche ou de dispositifs expérimentaux constitueront une base pour l’animation. Les projets comprennent le projet PING, mené sur le site de recherche écologique à long terme (LTER) de ZAPVS, dans lequel nous étudions de manière expérimentale les liens entre la structure du paysage, les pratiques agricoles, le développement d’épidémies, le devenir des pesticides dans les eaux pluviales et dans l’air et l’exposition non voulu d'organismes aux pesticides. Un autre projet structurant est le projet interlaboratoire IMPULSE, qui traite de la modélisation des interactions entre la biodiversité aérienne et souterraine sur les systèmes de prairies et les associations de colza et de légumineuses au champ. Enfin, certains projets de doctorat y ont également contribué, comme un projet en collaboration avec l'unité BIOGER qui porte sur la dynamique de la résistance aux agents pathogènes dans les associations variétales du blé et une collaboration avec l'unité ESE sur le rôle des éléments semi-naturels dans la régulation des ravageurs à l'échelle du paysage. Plusieurs défis restent à relever, tels que l'élaboration d'un cadre de modélisation intégrative à l'échelle du paysage intégrant des processus biotiques et abiotiques se déroulant à différentes échelles d'espace et de temps. Développer un tel cadre est une opportunité pour l'animation scientifique. L’un des objectifs de l’animation sera également de renforcer et de développer des partenariats avec des unités voisines (Agronomie, SADAPT, BIOGER, EcoPub, MIA de Jouy ..), des unités de la fédération FIRE (Metis, HBAN) et du LabEx BASC (LSCE , ESE), qui sont tous des partenaires essentiels pour comprendre la question de la diversité des agroécosystèmes ; mais aussi avec des écologistes de l'évolution théoriques (ENS, ESE) pour développer une modélisation de l'évolution des agents pathogènes face aux pratiques favorisant la diversité.