RL2. Evaluation des effets des contaminants sur les organismes et leurs fonctions

  • Biomarqueurs / bioindicateurs. Des biomarqueurs et des tests biologiques ont été développés sur i) les oligochètes (vers de terre et enchytréides), du sous-individu au niveau de la population et ii) les micro-organismes, principalement au niveau communautaire. Ces organismes sont profondément impliqués dans les fonctions du sol (c’est-à-dire le renouvellement de la matière organique, les cycles biogéochimiques et nutritifs) et constituent donc des modèles écologiques et écotoxicologiques pertinents. Différents paramètres ont été étudiés en relation avec l’état biochimique et cellulaire, ainsi que leur croissance, leur comportement et leurs activités. L'importance d'utiliser des espèces représentatives dans les tests écotoxicologiques de pesticides a été soulignée en raison de différences significatives de sensibilité aux pesticides entre les espèces de vers de terre (Pelosi et al., 2013, 2014, 201; Rombke et al., 2017). La différence de sensibilité observée peut être expliquée par différentes caractéristiques écologiques, liées à l'activité et au comportement alimentaires, susceptibles d'influer sur la voie d'exposition aux contaminants.
    L'échelle individuelle ne peut pas être appliquée au compartiment microbien du sol, alors que les micro-organismes remplissent de nombreuses fonctions dans le sol et réagissent à court terme aux changements environnementaux. Plusieurs indicateurs de la qualité du sol ont ainsi été développés de manière spécifique ou générique par le biais d'approches descriptives. Afin de disposer de mandataires de ces fonctions, des essais biologiques basés sur les activités enzymatiques de l'ensemble du sol ou de groupes microbiens spécifiques ont été choisis et développés. Cependant, d’un point de vue écotoxicologique, de nombreuses activités microbiennes ou enzymatiques étaient peu spécifiques ou sensibles à la contamination, peu résistantes aux facteurs de confusion (teneur en matière organique ou pH du sol) et étaient supportés par une diversité de microorganismes (haute redondance fonctionnelle). Ainsi, pour des préoccupations plus spécifiques concernant l’exposition des communautés microbiennes aux contaminants, l’approche PICT a été mise au point en raison de la spécificité des mécanismes sous-jacents de réponse à une classe de contaminants (c’est-à-dire l’acquisition de la tolérance par la communauté). Il est apparu comme un outil approprié pour mettre en évidence un effet à long terme ou une exposition récurrente à un contaminant donné. Nous avons mis au point plusieurs essais biologiques microbiens avec différents critères d’évaluation en fonction des contaminants et de ses modes d’action (analyse des algues du sol pour les herbicides, analyse de la nitrification des métaux et des antibiotiques, Crouzet et Bérard, 2017). Un résultat principal en relation avec le recyclage des déchets organiques n'a montré aucun impact des AB et du TE sur les communautés microbiennes du sol, lors d'expériences de terrain à long terme (projet CEMABS).
  • Relation à long terme devenir-exposition-effet. Nous avons travaillé sur les effets à long terme, où l'exposition aux contaminants résiduelle mais continue est supposée diminuer progressivement avec le temps jusqu'à ce que les niveaux de contaminants biodisponibles pour les organismes soient sublétaux. Les facteurs de confusion devraient donc avoir une plus grande importance. Dans ce contexte, nous avons montré que les indicateurs classiques basés sur le concept de toxicité ne sont pas adaptés car insuffisamment résistants aux facteurs de confusion, peu sensibles, ne montrant aucun effet et non pertinents pour intégrer la capacité d’adaptation des organismes et des communautés (changement dans les structures communautaires associées ou non à la redondance fonctionnelle). Sur le terrain et à l’échelle de la communauté microbienne, l’application du concept PICT a permis de déterminer que l’exposition à de faibles doses chroniques d’un contaminant induisait une tolérance fonctionnelle qui pouvait être évaluée en laboratoire (projet CEMABS). Les résultats concordent avec le fait que, même à long terme, la pression de sélection existe et que le contaminant est toujours biodisponible, alors qu'aucun effet ne peut être simplement démontré.
fig 20
Figure 20. Log ratio of LC50 (species s vs. E. fetida fetida (●)or E. fetida andrei (o)) for: (a) all species, (b) s = L. terrestris, (c) s = A. caliginosa,and (d) s = L. rubellus. The error bars correspondto the 95% confidence intervals computed eitherfrom the LC50 standard deviations reported by the authors when available (6 pubs) or from thehighest LC50 standard deviation (9 pubs).
  • Choix de modèles biologiques et observation en nature. Un travail important a été effectué pour mieux évaluer la pertinence de nos modèles écologiques utilisés en écotoxicologie. Plus spécifiquement, nous avons évalué la sensibilité des vers de terre omniprésents trouvés dans les sols agricoles par rapport à ceux utilisés dans les tests d'homologation (Pelosi et al., 2013), ainsi que l'intérêt d'utiliser Enchytraeids comme bioindicateurs de perturbations anthropiques ou de pratiques de gestion agricole (Pelosi et Römbke, 201; Römbke et al., 2017) (Fig. 20). Nous voulions également produire des données évaluant les différences de sensibilité à divers contaminants entre les vers de terre et les Enchytraéides, à l’échelle biologique de la population et des communautés, à partir de comparaisons d’observations sur le terrain et ex situ (Bart et al., 2017; Amossé et al., 2018, projet ANSES). Nous avons également lancé des études à l’échelle spatiale des paysages afin d’évaluer l’impact des éléments de végétation semi-naturels sur le transfert de pesticides et l’accumulation correspondante dans divers compartiments liés à la chaîne alimentaire, notamment les sols, les vers de terre, les carabidés et les micromammaux (projets RESCAPE et PING ; Bertrand et Pelosi, 2017).
  • Modélisation et évaluation des risques. Afin d’évaluer l’impact des contaminants sur les fonctions écologiques remplies par les vers de terre, c’est-à-dire les effets non intentionnels sur les contaminants, nous avons adopté une stratégie visant à mener des expériences parallèles en laboratoire et sur le terrain. Ces expériences ont été utilisées pour acquérir des données sur le cycle de vie du ver de terre choisi et calculer un modèle bioénergétique en l'absence puis en présence d'un contaminant (Bart et al., 2017; 2018). De nouvelles données, notamment en écotoxicologie terrestre, ont ainsi été obtenues sur l'impact des pesticides sur la reproduction et sur la santé des générations suivantes, ainsi que sur l'influence de l'âge du ver de terre lors de son exposition. Les données sont ensuite utilisées pour paramétrer un modèle biologique couplé à un modèle toxicocinétique-toxicodynamique qui donnera accès à l'impact sur des fonctions écologiques spécifiques liées par exemple aux cycles C ou N (projet ANSES).