RL3. Étude de la dynamique de la matière organique du sol, du stockage du carbone et de ses facteurs de contrôle à différents niveaux d'organisation spatiale

La gestion de la matière organique du sol est une question clé pour une agriculture durable ainsi que pour l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de celui-ci. Malgré des efforts de recherche spécifiques, les processus menant à la biodégradation ou à la stabilisation et au stockage de la matière organique du sol ne sont pas encore suffisamment compris pour permettre une prévision fiable des stocks de MOS et des propriétés associées affectées par la gestion et le changement climatique. Des recherches récentes ont abouti à un changement de paradigme dans la vision de la dynamique de la matière organique des sols, ce qui est davantage contrôlé à long terme par les interactions de la MOS avec l'environnement (conditions physiques et chimiques, interactions avec les constituants minéraux du sol, accessibilité aux décomposeurs microbiens) par sa recalcitrance chimique intrinsèque.

Dans ce contexte et compte tenu de nos réalisations précédentes, nos objectifs pour les 5 dernières années étaient les suivants :

A - Comprendre les processus de stabilisation et de déstabilisation de la matière organique du sol et évaluer leur importance relative à différentes périodes ;

B - Comprendre et prévoir les transformations microbiennes du carbone dans l'environnement complexe et structuré des sols à l'échelle de l'habitat microbien, tel que affecté par le changement climatique, en mettant l'accent sur la disponibilité de l'eau et en développant des approches de modélisation innovantes ;

C - Évaluer l'effet de la gestion des sols agricoles sur les stocks de carbone et la qualité de la matière organique.

La recherche développée à ECOSYS repose en grande partie sur l'utilisation d'expériences à long terme (LTE), qui constituent des infrastructures de recherche de premier plan en pédologie et biogéochimie (par exemple, Chabbi et Loescher, 2017). Les LTE sont gérés soit par ECOSYS (déchets organiques QualiAgro, chronoséquence Les Closeaux C3-C4, «42 parcelles» et «36 parcelles» - voir annexe 2), soit par des collaborations (Lusignan SOERE-ACBB, INRAE Lusignan, gestion, systèmes de culture alternatifs La Cage et SIC, INRAE Agronomie, agroforesterie Restinclières, Système INRAE). Sur ceux-ci, les stocks de SOC et de SON sont mesurés, une gamme de méthodes de fractionnement physique et chimique sont appliquées ainsi que des caractérisations biologiques (par exemple, biomasse microbienne, PLFA, minéralisation de SOC et SON). La dynamique du carbone organique du sol est déchiffrée à l'aide de l'abondance naturelle du 13C. L'unité de recherche possède également une solide expertise en matière d'expériences de microcosmes d'incubation dans lesquelles la structure du sol et le placement de substrats organiques et de micro-organismes peuvent être manipulés. La modélisation à l'aide de modèles compartimentés est utilisée pour prévoir les stocks et les flux ainsi que pour tester des hypothèses. Une nouvelle génération de modèles a été développée à l'échelle microscopique du sol.

L'expertise de l'équipe sol permet son implication dans les réseaux de recherche nationaux (CarboSMS, Resmo) et les expertises nationales (expertise INRAE sur l'atténuation des GES dans l'agriculture, expertise en cours sur le stockage de SOC). La reconnaissance du stockage du carbone dans les sols en tant qu'option d'atténuation supplémentaire et potentiellement importante à la COP21 a favorisé les initiatives internationales et la mise en réseau auxquelles l'équipe est associée (initiative 4p1000, Alliance mondiale pour la recherche, GSOC de la FAO) et a accru la demande en matière de politique et d'aide à la décision.

A- Les différents processus expliquant la persistance de la matière organique du sol sont en jeu dans tous les sols, mais leur importance relative dépend du contexte pédoclimatique et de la gestion des sols (Stockman et al., 2013; Dignac et al., 2017) et n'est pas encore complètement évalué.

Au cours des 5 dernières années, nous avons :

  • Quantifié l'effet de la gestion agricole et du contexte pédoclimatique sur la dynamique des fractions moléculaires de la MOS (par exemple, Armas Herrera et al., 2016)
  • Quantifié l'effet de la gestion des prairies sur la protection physique de la matière organique du sol (Panettieri et al., 2017)
  • Étudié l'importance de la minéralogie de l'argile dans la stabilisation de la matière organique du sol par des associations organo-minérales (par exemple, Barré et al., 2015). En utilisant de puissantes méthodes de visualisation, nous avons montré que divers composés organiques interagissaient avec les oxydes de métaux (nanoSIMS, STXM, par exemple Lutfalla, PhD 2015).

Les biochars sont des amendements organiques aux sols qui suscitent un intérêt considérable dans la communauté scientifique. Au cours des 5 dernières années, nous avons contribué à démontrer leur diversité en termes de décomposabilité et d’effet sur la MOS via l’amorçage (par exemple, Paestch et al., 2017).

Isoler les compartiments SOM avec des temps de résidence contrastés est un problème de plus en plus complexe en science du sol. Nous avons proposé d’utiliser des jachères nues à long terme, c’est-à-dire des expériences sur le terrain préservées de la végétation, dans lesquelles, avec le temps, les sols s’épuisent progressivement en matière organique labile au fur et à mesure de leur décomposition et relativement enrichis en matière organique persistante. Au cours des 5 dernières années, grâce au réseau européen de développement à long terme que nous avons développé, nous avons montré que :

  • La minéralisation du COS stable est plus sensible à la température que celle du SOC labile, répondant à un débat international actif (Lefevre et al., 2014, R. Lefevre, PhD 2015);
  • Le pyrogène C se décompose à long terme;
  • La protection physique a contribué à environ un quart de la persistance du COS sur 80 ans (Paradelo et al., 2016);
  • L'effet d'amorçage ne semble pas avoir d'importance quantitative à long terme (50 ans) (Cardinael et al., 2015);
  • Le COS stable a une faible teneur en énergie, ce qui peut être attribué à une combinaison de teneur réduite en liaisons C – H énergétiques ou à des interactions plus fortes entre l'OM et la matrice minérale, expliquant en partie sa persistance dans les sols (Barré et al., 2016). L'utilisation de ces jachères nues à long terme a montré que les méthodes thermiques, et en particulier la pyrolyse Rock Eval, sont très prometteuses pour évaluer la stabilité biologique du carbone organique du sol (Cecillon et al., 2018).

B- La prévision insuffisamment précise des stocks et des flux de MOS avec les modèles de compartiments actuels est largement attribuée à ignorer le niveau élevé d'hétérogénéité à l'échelle des particules et des pores causée par la structure du sol, ce qui conduit à une déconnexion spatiale entre le carbone du sol, les sources d'énergie, et les organismes impliqués dans les transformations du carbone. Notre équipe investit depuis une décennie déjà dans l’étude des transformations microbiennes de la matière organique à l’échelle microscopique, avec une combinaison originale d’études expérimentales et de modélisation. Au cours des 5 dernières années, ce sujet a été développé dans le cadre de deux projets ANR, MEPSOM et Soilµ3D, que nous avons coordonnés.

Nous avons amélioré notre description de l’importance de l’accessibilité dans la minéralisation des substrats organiques (Pinheiro et al. 2015) et avons montré que l’hétérogénéité des habitats à l’échelle des pores affectait davantage la minéralisation des substrats organiques labiles que la diversité microbienne (par exemple, Juarez et al., 2013). La disponibilité de l'eau est en effet un puissant facteur de décomposition microbienne de la matière organique dans la structure du sol (Moyano al., 2013).

Nous avons développé une série de modèles innovants pour décrire la minéralisation de substrats organiques dans la structure du sol, basés sur une description explicite de l'hétérogénéité du système de pores du sol, de la distribution de l'eau et de l'air et des bactéries ou champignons et de la matière organique dans la structure du sol. Ces modèles sont basés sur des formalismes de réseau de Boltzmann (par exemple, Vogel et al., 2015; voir Highlight 6) ou sur une représentation du système de pores du sol avec des primitives géométriques (par exemple, Monga et al. 2014). La distribution spatiale des solides et des vides est obtenue à partir d'images µCT en micro-tomographie calculée aux rayons X, bien que la résolution de ces techniques doive être améliorée pour traiter les processus microbiens dans les sols (Baveye et al., 2017). Nous avons investi dans la description de la distribution tridimensionnelle de l'eau et de l'air dans les pores du sol, à l'aide de la modélisation réseau-Boltzmann à deux temps de relaxation, à l'aide d'études par tomographie par rayons X synchrotron (par exemple, Pot et al., 2015). La distribution spatiale de la matière organique est attribuée a priori ou pourrait également être localisée avec µCT. Pour cela, nous avons développé une méthode innovante de localisation de la matière organique en tomographie µCT (Peth et al., 2014). La distribution spatiale des micro-organismes est mise en œuvre de manière aléatoire ou sur la base de rapports de la littérature. Nous avons pu jusqu'à présent modéliser la minéralisation de composés organiques simples (Monga et al., 2014; Vogel et al., 2015; 2018) et la propagation d'hyphes fongiques dans les sols.

C- Notre recherche vise également à évaluer les effets de la gestion des sols agricoles sur les stocks de carbone des sols et la qualité de la matière organique, nécessaires pour identifier les options d'atténuation en agriculture (Chabbi et al., 2017; Chenu et al., 2018).

Le recyclage des PRO est l’une de ces directions et a été spécifiquement présenté dans la ligne de recherche 1. Au cours des 5 dernières années :

Nous avons montré que, en ce qui concerne la gestion des prairies, les rotations sur sol arable amélioraient les émissions de gaz à effet de serre et le bilan de carbone par rapport aux systèmes arables continus, et affectaient également le cycle du phosphore (Crème et al., 2016). L'introduction de luzerne dans les leys n'a cependant eu que peu d'effet sur les stocks de COS et la composition biochimique de la MOS. Nous avons constaté que le modèle DaylyDayCent pourrait décrire avec succès les flux de GES dans ces systèmes (Senapati et al., 2016).

Grâce à des expériences à long terme, nous avons fourni les premières estimations des taux de stockage de COS supplémentaires pour deux systèmes de culture alternatifs en France : l'agriculture de conservation (c.-à-d. Pas de travail du sol avec une culture de couverture permanente, Autret et al., 2016,), et l'agriculture agroforestière Cardinael et al., 2015, 2017). En combinant les mesures des stocks de COS, des intrants de C dans le sol et la modélisation, nous avons constaté que, dans ces différents systèmes de culture, le stockage supplémentaire de COS pouvait être entièrement expliqué par une augmentation des intrants organiques dans le sol (Autret et al., 2016; Cardinael et al., 2018). , soulevant des questions sur les effets du non-travail du sol sur les taux de minéralisation du SOC

Stratégie scientifique et projet

L'amélioration de la teneur en matière organique et des stocks du sol pour les services écosystémiques qu'il fournit, y compris le stockage du carbone organique et la réduction des émissions de GES, nécessite :

  • Améliorer les connaissances sur les moteurs et les processus impliqués dans la dynamique de la matière organique du sol à différentes échelles spatiales, y compris à l'échelle microscopique ;
  • Améliorer les outils permettant de surveiller l’état de la matière organique des sols, tels que les méthodes d’évaluation de la taille cinétique du pool de COS, l’évaluation du potentiel de stockage des sols, les modèles de dynamique SOM et les méthodes à haut débit pour cartographier les teneurs en C organique ;
  • Évaluer les avantages d'un stockage accru de matière organique dans le sol, notamment en abordant la question du dilemme carbone du sol «l'utiliser ou l'accumuler?» (Janzen, 2006).

En ce qui concerne les processus impliqués dans la dynamique de la matière organique du sol, nous contribuerons à l’effort de synthèse du projet H2020 CSA CIRCASA (Coordination de la coopération internationale en matière de recherche sur le stockage du carbone dans l’agriculture). Nous améliorerons les modèles mécanistiques à l’échelle microscopique décrivant la décomposition des composés organiques dans la structure du sol, tenterons de surmonter le problème de la «porosité invisible» par tomographie par ordinateur, en les modélisant, et implémenterons la disponibilité de l’oxygène dans nos modèles actuels ( L-Bios et Mosaic II), pour traiter également les contrôles à petite échelle des émissions de N2O. Notre objectif est de développer de nouveaux descripteurs de l’hétérogénéité 3D du sol à l’échelle des pores qui expliquent les flux mesurés à l’échelle principale, et d’utiliser nos modèles 3D pour relier l’hétérogénéité à l’échelle microscopique et les flux mesurés à l’échelle macroscopique.À la pointe de la technologie, nous envisageons de développer de nouveaux modèles simples décrivant la micro-hétérogénéité du sol et intégrant ces micro-caractéristiques dans des modèles à l’échelle du champ. Le cadre expérimental de cette activité est l’étude de la dynamique spatio-temporelle des hot spots de minéralisation de la matière organique, utilisant une combinaison de méthodes de visualisation (µCT, microscopie à fluorescence, NanoSIMS) et de traçage à l’isotope  stable (PhD C. Védère). Cette ligne de recherche s'inscrit dans les projets ANR Soilµ3D et NanoSoil et implique des collaborations nationales (IEES Paris, MISTEA INRAE, Géosciences Rennes, UR sols INRAE Orléans, CEREGE) et des collaborations internationales (Univ Cranfield, Université technique de Munich, Univ Kassel, NARO Tsukuba). 

Il est bien établi que le carbone déposé dans les rhizomes est la principale source de carbone organique du sol (par exemple, Rasse et al., 2005). Le recrutement de Frédéric Rees, (chercheur ECOSYS) pour étudier les facteurs éco-physiologiques de la rhizodéposition permettra de développer de nouveaux programmes ambitieux pour étudier le devenir des différentes formes de C sous-sol (exsudats, cellules éparses, mucilages, racines mortes)(collaboration avec IEES Paris, PSH et EMMAH INRAE Avignon, projet ANR à soumettre).

Pour améliorer l’évaluation du potentiel de stockage du COS sur le territoire à l’échelle régionale, nous allons comparer plusieurs approches, notamment une approche fondée sur les données (basée sur la répartition réelle des stocks de COS dans les sols agricoles), des approches de modélisation utilisant des modèles de compartiments (par exemple, AMG), une approche de niveau 2 utilisant des facteurs d’émission issus de la récente expertise de INRAE (Pellerin et al., 2013) et l’approche de saturation en carbone. Ceci sera réalisé dans le projet STORESOILC (collaboration Géologie ENS Paris, Géosciences UPMC, LSCE Saclay, Infosols INRAE, AgroImpact Laon INRAE) et dans le projet CE-CARB (centré sur les cultures énergétiques, AgroImpact INRAE Laon). Notre groupe développera ces quatre approches sur le territoire de la Plaine de Versailles, en s'appuyant sur des travaux antérieurs (voir thème Déchets organiques). Dans le cadre du projet PEDO-POLYPHEME du CNES-TOSCA (2019-2021) (collaboration TETIS-IRSTEA, PRODIG-Univ. Paris, Sorbonne, SAS, CESBIO, Infosol, MIA INRAE), le contenu sera centré sur de nouvelles approches pour la spatialisation de plusieurs facteurs C tels que les pratiques d'amendement organique, les cultures intermédiaires et l'utilisation de terres plus anciennes. Les efforts seront axés sur l'évaluation quantitative, l'erreur et l'incertitude générées par l'utilisation des séries temporelles Sentinel 1 et / ou 2 (S1 / S2).

Dans le même projet, nous comparerons différentes méthodes de fractionnement (Poeplau et al., 2018) pour estimer la taille des réserves de SOC pluridécennales dans les sols et contribuerons également au développement de la pyrolyse Rock-Eval. Les expériences à long terme de QualiAgro et de La Cage seront utilisées pour estimer la persistance et la vulnérabilité du carbone récemment stocké.

Lorsque la recherche s'intéresse uniquement à l'augmentation du stockage du COS pour atténuer les émissions de GES, l'attention se concentre sur le C du sol avec de longs temps de séjour. Dans une perspective plus large, le carbone organique cinétiquement stable peut ne pas être associé à tous les bénéfices attendus des sols plus riches en matière organique, tels qu'une disponibilité maintenue ou améliorée d'azote, une structure de sol meilleure et plus stable et une plus grande abondance, diversité et activité du biote du sol. Nous tirerons parti de nos différents projets et activités en cours ou soumis (notamment voir §1 et le thème structurant «Biomasses») pour développer une vision enrichie et plus quantitative des avantages et des inconvénients d’un stockage accru de carbone dans les sols par le biais de pratiques agroécologiques. (notamment application des déchets organiques, agriculture biologique, agriculture de conservation, cultures de couverture).